Mercredi 26 janvier 2022 eut lieu une première rencontre de Philippe ROBIAUD, une des mémoires de la télématique et du Minitel l avec les associations MO5.com et la Ludothèque Française.
Après-midi bien chargé. Visite des collections MO5.com puis première interview dans les locaux de la Ludothèque Française
Quand il entre en télématique Philippe est Directeur associé depuis 1974 dans une société de conseil, + Consultants. A ce titre il dirige le département Etudes et Marketing.
En 1977 il est contacté par un ingénieur de France Télécom, Claude TERMENS qui a la charge de valider un concept de produit en gestation au sein de France Télécom.
La question, – toute nouvelle à l’époque, qui lui est posée est celle de l’avenir d’une connexion en temps réel entre le grand public et un ordinateur distant dans le but de proposer des services en ligne.
France Télécom a fait le constat que la majorité des français dispose d’un téléphone et d’une télévision et que si on relie les deux par ce qui s’appellera plus tard un décodeur, on pourra offrir une liaison avec des ordinateurs distants, donc des services en ligne en temps réel au grand public.
A Issy les Moulineaux le CNET (Centre national d’études des télécommunications) a mis au point un décodeur expérimental, Tic-tac.
Dans le même temps à Rennes une réflexion de même type était engagée au CCETT (Centre commun d’études de télévision et communications) qui débouchera sur un terminal autonome entièrement dédié et en noir et blanc. Ce sera le Minitel
Dans les années 70 les études de créativité étaient très à la mode en particulier pour traiter des problèmes d’innovation
IL est donc décidé d’organiser une réunion de créativité.
Un groupe de travail est sélectionné pour ses capacités créatives et sa diversité professionnelle
On y trouve un professeur d’HEC, Georges BLANC, un ingénieur d’Alcatel, Georges de MONTSERRAT, le directeur d’une société d’études SECODIP, Bernard PINET, un directeur d’une société d’informatique Serge GAUTHERON, un artiste informaticien un architecte, un journaliste et Claude TERMENS pour France-Télécom.
Deux jours de réflexion animés par Philippe ROBIAUD et Bernard DEMIAUX sont organisés au Moulin d’Andé sur les bords de Seine. Un haut lieu de la créativité à l’époque.
Non sans quelques difficultés et avec le renfort d’un tournevis pour activer Tic-Tac, Claude TERMENS établit une connexion avec l’ordinateur du CNET à Issy les Moulineaux
Une première image apparait : C’est une petite maison, sans doute la première image de la télématique.
Deux jours plus tard, la réunion a accouché et toutes les idées, tous les services que l’on connait aujourd’hui sont identifiés (Banque administration, transport, immobilier, média, industrie etc.) quelquefois avec une prescience surprenante
On dessine l’objet qui recevra les informations, il ressemble très fort aux micro-ordinateurs comme l’Apple2 en vogue à l’époque et a ce que sera le Minitel.
Un participant dessine un objet torique très coloré avec plein de sortie et déclare l’objet doit permettre de se « faire plaisir » ; Prémonition ?
Des photos sont prises, hélas aujourd’hui disparues
La réunion fait l’objet d’un rapport dithyrambique en trois exemplaires pour Philippe ROBIAUD, Claude TERMENS et son supérieur hiérarchique Philippe LECLERC.
Dommage qu’on en ait perdu la trace !
Suite à ce rapport, émerge l’idée d’un marché témoin, un test grandeur nature
Très rapidement la décision est prise
Ce sera Vélizy ou plutôt la zone Vélizy, Villacoublay et Versailles d’où le nom le plus communément admis pour le test T3V et on parlera de l’époque Vélizy.
En marge de cette décision, fin 78, on cherche un nom pour le projet télématique français
Ce sera TELETEL de préférence à CILOE à l’issue d’une recherche de nom organisée par Philippe ROBIAUD avec un groupe de collaborateurs de France Telecom
Il y aura des équivalents dans le monde Prestel en Angleterre, en Allemagne Bildschirmtumtex, Télidon au Canada et Captain au Japon
Aucune de ces initiatives ne connaitra le développement de Télétel
Retour à Vélizy
Philippe LECLERC dirige toute l’expérience depuis les locaux de Vélizy.
Les équipes se constituent, informaticiens, commerciaux, administratifs, communicants, graphistes
Le matériel suit : plusieurs ordinateurs mini6, plusieurs postes de création d’images Unitel
Un complexe informatique est créé sous la direction de Jacques TETARD, un ingénieur qui imaginera trop tôt sans doute un système de paiement des services en ligne PayPal avant la lettre.
2500 décodeurs sont fabriqués par Matra, Alcatel et Thomson et distribués à 2500 volontaires sur la zone T3V sélectionnés parmi 9000 volontaires
On les rebaptise poêles à frire. Ils peuvent se glisser sous les téléviseurs cubiques de l’époque.
Un clavier alphanumérique (ABCD…) détachable permet de se connecter aux ordinateurs distants et de communiquer
Une lettre d’information T3V voit le jour sous la responsabilité de Dominique LAMICHE
Le premier numéro raconte la vie quotidienne à Vélizy, l’avancement de test et fait la publicité des deux premiers prestataires de services, Unitel et Michel BARDA pour le matériel de composition et Philippe ROBIAUD pour + consultants créateurs de service et d’images
Seulement, pour faire des services, il faut trouver des fournisseurs de services
S’il est facile de les identifier, il est plus difficile de trouver des interlocuteurs au sein de ces futurs fournisseurs de services.
A qui parler ? Le produit était nouveau, n’avait pas d’équivalent.
Les enjeux sont difficiles à percevoir et à promouvoir.
Fallait-il s’adresser à des commerciaux, des informaticiens à des stratèges à des PDG ?
Une équipe de jeunes ingénieurs commerciaux est recrutée. Mais ce n’est pas facile de faire remonter un projet stratégique dans la hiérarchie d’une grande entreprise.
Malgré tout, on voit défiler à Vélizy de nombreux visiteurs français et étrangers aux compétences diverses
De son côté Philippe ROBIAUD est mandaté par France Télécom pour le même travail.de prospection et de promotion
Il se souvient de ses premiers clients, La BNP, Le Printemps, Elf, COOP, Cetelem, K-way, Donnay, Lesieur et de la difficulté à faire comprendre les enjeux.
Certains ont même pu penser que l’investissement à Vélizy devait être rentable à…..Vélizy.
Mais d’autres prestataires viennent très vite en renfort
Pour l’hébergement et la création de logiciel plusieurs entreprises proposent leurs services : Télésystème, GSI, Steria, Fourtanier.
Pour la création d’images, on s’équipe de machines Unitel de Michel Barda, une unité centrale et un clavier adapté à la norme Videotex/Antiope, un stockage des images sur diskettes
Michel BRET, professeur à l’Université de Vincennes développe un logiciel de composition pour la norme Videotex/Antiope baptisé Control’X et une tablette graphique associée, l’ancêtre de MacPaint
Daniel SAINT HORANT et Patrick REYER recrutent pour Havas une équipe d’étudiants des beaux-arts. Comme les graphistes de l’époque ils vont devoir s’adapter à la norme Videotex et ils feront des miracles avec cette contrainte de composition d’images.
Il ne dispose que de 9 couleurs et 1000 points pour créer une image. Elle pourra ainsi passer dans le réseau téléphonique et s’afficher en couleur sur l’écran de télévision avec une vitesse d’affichage acceptable.
Quand on regarde ces images aujourd’hui, leur valeur artistique saute aux yeux.
Certaines d’entre elles furent d’ailleurs exposées à Beaubourg.
D’autres figures émergent de l’époque Vélizy
Félix AMAR, un informaticien très doué qui programmera de nombreux services dont la première messagerie dite rose (Balma pour le Parisien Libéré) après sa naissance en Alsace
Elie ABITBOL responsable du serveur de Télésystèmes qui hébergera nombreux services.
Michel BOUVIER, l’adjoint de Claude TERMENS qui aura un rôle important dans la promotion de Teletel
Philippe ROBIAUD se souvient que sa femme est allée réaliser des images à Vélizy avec sa fille de cinq ans sous le bras.
Les ingénieurs de Vélizy ont installé la fillette avec un stylet devant une tablette où elle a pu créer ses premières images
Mais créer une image à la norme videotex point par point n’’était pas chose facile
Il fallait une demi-journée pour arriver à une image un peu sophistiquée
Début 1981 les premiers services consultables par les usagers commencent à se mettre en place
Plus de cinquante entreprises vont participer au début de l’expérimentation de Vélizy pour atteindre près de deux cents à la fin de l’expérience en juillet 1984
Très curieusement l’état et ses multiples services seront pratiquement absents.
Philippe ROBIAUD se souvient de la fierté des équipes de Vélizy à l’idée qu’elles avaient travaillé comme dans le privé c’est-à-dire avec beaucoup de rapidité et d’efficacité.
Ils étaient portés par le plaisir de la créativité
C’était une époque exaltante dont on n’avait pas vraiment conscience.
Il fallait faire feu de tout bois.et tout était à inventer
L’expérimentation de Vélizy durera cinq ans de 1979 à 1984
On peut légitiment la regarder comme la première pierre, l’acte de naissance d’une grande aventure mondiale, Internet, qui bouleversera notre société
Ça s’est passé en France.
La question sera souvent posée de savoir pourquoi la France n’a pas pu capitaliser sur cette innovation et son savoir-faire.
Ceci mériterait un plus large développement.
Ce qui est sûr, c’est qu’il était difficile de protéger une idée si ce n’est en tirant rapidement les conséquences et en avançant très vite dans les développements.
Quel fut le bilan de Vélizy ?
Il est difficile d’être exhaustif
Il fut très positif sur de nombreux aspects
Au plan technique on a pu mettre pour la première fois en relation des citoyens avec des ordinateurs distants, pour leurs offrir toute une gamme de services interactifs à domicile.
Le réseau téléphonique commuté ne pouvait supporter un fort développement des communications
Le réseau Transpac et les points d’accès Videotex (PAVI) résoudront ce problème.
De multiples services à domicile ont été créé à Vélizy Information, banques, commerces, immobilier, services, transports, industries,
Une prise de conscience des enjeux a pu se développer dans l’esprit des dirigeants de grandes sociétés
A titre d’exemple, le CCF développera les prémices des banques à domicile : De même dans l’immobilier la FNAIM verra tout le parti qu’on pouvait tirer de Teletel, tout comme les sociétés de vente par correspondance.
Innovations dans l’innovation, de nouvelles idées ont vu le jour comme les messageries, les jeux en ligne, les services commerciaux, les paiements (plus tard PayPal), les systèmes experts, l’interrogation sémantique (plus tard Google)
Vélizy à mis en évidence des perspectives de gains de productivité considérables pour de multiples sociétés voire même des inversions dans les dépenses entre clients et fournisseurs
Par exemple une banque dépensait de l’argent pour informer ses clients, elle a pu envisager déjà l’époque la banque en ligne et la suppression du papier et des relevés bancaires
Ce fut également le cas pour la SNCF, ses horaires papier et sa billetterie.
La télématique pouvait être regardée comme un phénomène de société comme l’a montré l’expérience de Vélizy
Les services en place à Vélizy ont été très bien accueillis et maitrisée par les utilisateurs préfigurant les millions d’usagers qui utiliseront le Minitel jusqu’au fond de nos campagnes.
C’est d’ailleurs en milieu rural que le minitel perdurera le plus longtemps
Loin d’isoler les individus comme certains le craignaient, on a vu à Vélizy les usagers se regroupés en de nombreuses associations en fonction de multiples centres d’intérêt
L’expérience de Vélizy s’est arrêtée en 1984
L’expérience était difficilement extrapolable telle que vécue à Vélizy
En effet l’utilisation télématique du téléviseur et du téléphone familial entrait en conflit avec l’utilisation classique d’une télévision et d’un téléphone
Mais le développement simultané du Minitel, un terminal qui intégrera rapidement la fonction téléphone réglera ce conflit.
La décision de France Télécom de distribuer des millions de Minitel gratuitement, avec l’argument remarquable de l’annuaire électronique, résoudra le problème d’accession au grand public
Toutefois le Minitel offrira une prestation avec la norme vidéotex en noir et blanc et signera la fin de la créativité graphique des images en couleur de Vélizy
Cette norme disparaitra avec Internet
Mais pendant quatre ans les graphistes talentueux des années 80 créeront quelques dizaines de milliers d’images en couleur sous la norme Videotex
Les images qui sont restées de l’époque Vélizy sont uniques et d’une étonnante beauté
Rappelons que certaines ont été exposées à Beaubourg.
Elles sont la partie visible et spectaculaire de la télématique française avant l’arrivée d’Internet
A ce titre elles ont aujourd’hui une valeur patrimoniale considérable
Après Vélizy le Minitel deviendra le référent de Télétel et ouvrira de nouvelles perspectives
Ceci est une autre histoire
A suivre dans la suite de l’interview……… !
L’association MO5.com a profité de l’occasion pour faire une démonstration d’une valise Minitel FIET, toujours fonctionnelle après plus de 35 ans !
C’est après cette réunion que notre membre Jean-François DEL NERO a créé un outil permettant d’afficher directement sur la valise des images issues des collections de Philippe ROBIAUD grâce à un hautparleur posé sur le combiné (https://github.com/jfdelnero/minitel/tree/master/Minitel_VDT2WAV )
Enfin, pour le plaisir des yeux, quelques images récupérées sur les disquettes 8 pouces de la collection de Philippe ROBIAUD.
Rédigé par Benoît MORAUX le 1er février 2022, cet article a été relu, corrigé et augmenté par Philippe ROBIAUD le 12 février 2022